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"Derrière le procès de l'OTS, les ambiguïtés de la notion de manipulation mentale"

par Patricia Briel ("Le Temps", 28 avril 2001)

Peut-on être manipulé mentalement? Oui, à entendre les acteurs du procès de Michel Tabachnik, qui s'est déroulé ces derniers jours à Grenoble. Le principal inculpé lui-même dit avoir été envoûté par Jo Di Mambro. Pourtant, la notion de manipulation mentale est loin de faire l'unanimité. Pour certains, elle devrait faire partie de l'arsenal judiciaire. D'autres estiment qu'elle n'existe pas, et que l'individu reste responsable de ses actes jusqu'au bout.
Ces dernières années, quelques pays européens, comme la France, la Belgique, et l'Italie ont été amenés à réfléchir sur l'introduction d'un délit de manipulation mentale, estimant que la législation en vigueur était devenue insuffisante pour lutter contre les sectes. Le projet de loi français About-Picard, adopté en juin 2000 par l'Assemblée nationale, prévoit ainsi la création d'un délit de manipulation mentale, défini comme le fait, «au sein d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d'exploiter la dépendance psychologique ou psychique des personnes qui participent à ces activités, d'exercer sur l'une d'entre elles des pressions graves et réitérées ou d'utiliser des techniques propres à altérer son jugement afin de la conduire, contre son gré ou non, à un acte ou une abstention qui lui est gravement préjudiciable.» Ce projet a donné lieu à une levée de boucliers en France. Au premier rang de la contestation: les religions traditionnelles, qui craignent que la création d'un tel délit ne leur porte préjudice.
A Genève, le Département de justice et police et des transports réfléchit à la création d'un délit défini de façon similaire. Pour l'avocat François Bellanger, président du groupe d'experts genevois qui s'est penché sur la question, «la manipulation mentale est une réalité. Mais il est vrai que le sujet est extrêmement difficile à réglementer. Il faut distinguer entre la manipulation mentale quotidienne, car nous sommes tous manipulés à des degrés divers, par la publicité par exemple, et la manipulation criminelle. Pour que celle-ci ait lieu, il faut une action physique et psychique répétée et systématique sur autrui dans le dessein d'affaiblir sa capacité de jugement ou de le placer dans un état de dépendance».
La plupart des associations de défense des victimes ne doutent pas de l'existence de la manipulation mentale. Selon Jean-Luc Barbier, ancien membre de la scientologie, aujourd'hui président de l'Association des victimes de la dianétique et de la scientologie à Neuchâtel, «dans une secte, il est difficile de se défendre contre ce qu'on vous impose». C'est aussi l'avis de François Bellanger: «L'adepte qui entre dans une secte voit sa capacité de discernement progressivement réduite, de telle sorte qu'il n'est plus à même de refuser ce qu'on lui demande de faire.»
Une thèse que contestent la plupart des sociologues des religions. Pour Roland Campiche, directeur de l'Observatoire des religions à l'Université de Lausanne, «il n'y a pas de secte sans l'approbation des disciples», donc sans une adhésion libre et volontaire. Le sociologue nie l'existence de la manipulation mentale: «Les expertises américaines qui ont étudié cette notion ont conclu qu'elle n'avait pas de consistance, et que l'individu restait capable de discernement lorsqu'il était engagé dans une secte. Cela dit, on ne peut faire abstraction de l'exploitation par les sectes d'une faiblesse passagère d'une personne. Mais au-delà, la responsabilité de l'individu reste engagée. On vit dans une société où la responsabilité individuelle est fortement mise en valeur. Alors pourquoi les gens ne seraient-ils pas aussi responsables dans le domaine de la religion?»
Danièle Hervieu-Léger, sociologue des religions à l'Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, est du même avis: «D'un point de vue juridique, le délit de manipulation mentale incrimine des pratiques dont il est impossible de déterminer à quel moment elles produisent leurs effets. Dans ce débat, on oublie trop souvent, quand on parle des victimes, que ce sont des individus qui ont fait un choix. C'est d'abord de sujets croyants qu'il s'agit.» Dans un livre récent, la sociologue s'élève contre la thèse de la manipulation, qui «postule que l'individu qui choisit d'entrer dans une secte n'exerce en fait aucune volonté autonome».
Jean-Luc Barbier fait remarquer que certaines sectes trompent les adeptes en n'explicitant pas dès le début leurs desseins. «On ne choisit pas librement de se faire escroquer, avance-t-il. Quand je lis parfois que les victimes ont en quelque sorte cherché ce qui leur arrive, ça me rend furieux. C'est comme affirmer que les filles qui portent des minijupes et qui se font violer l'ont bien cherché.» S'il ne nie pas la responsabilité de l'individu qui entre dans une secte, il estime en revanche que celle-ci est minime par rapport à celle de la société qui n'informe pas assez sur le danger sectaire. Plutôt que la création d'un délit de manipulation mentale, il souhaiterait un effort de prévention accru.

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