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"Hamas et la Road Map - Interview au Cheikh Ahmed Yassin"

par Mohamed Moustapha (Al-Ahram Hebdo, 7 mai 2003)

imgAl-Ahram Hebdo : Que pensez-vous du programme politique du nouveau gouvernement présidé par Mahmoud Abbass (Abou-Mazen) qui prône l'arrêt de la résistance armée contre l'occupation israélienne et la démilitarisation des groupes palestiniens qui commettent des opérations martyres contre Israël ?

Cheikh Ahmed Yassin : Le peuple palestinien n'aspire qu'à la réforme, comme l'a prôné Abou-Mazen. Mais la réforme dont nous rêvons est celle qui répond aux demandes de notre peuple et non pas aux intérêts américano-israéliens. Notre peuple vise au règne de la loi, au multipartisme politique, au respect des droits de l'homme, au renforcement du front palestinien interne face à l'agression israélienne quotidienne. Notre peuple est en quête d'une patrie, puis d'un Etat et ensuite d'un gouvernement. Or, le problème réside dans les demandes américano-israéliennes qui cherchent à mettre la charrue avant les bœufs. Israël et les Etats-Unis réclament le désarmement de la résistance palestinienne avant une reprise des négociations politiques. Ils veulent répéter l'expérience désastreuse d'Oslo : des années et des années de négociations sans aucun résultat tangible. Les Etats-Unis ne cherchent qu'à garantir l'existence et la sécurité d'Israël aux dépens du peuple palestinien. Abou-Mazen, lui, déclare qu'il œuvre pour assurer la sécurité et nous appuyons cette requête. Mais la question que nous posons est la suivante : de quelle sécurité s'agit-il, celle de notre peuple ou celle des Israéliens ? S'il est vrai que le désarmement assure la sécurité de notre peuple, nous l'accueillons favorablement. Mais si l'objectif est la protection d'Israël, ceci est catégoriquement refusé.

— Ne craignez-vous pas une guerre civile entre les factions et l'Autorité palestinienne si cette dernière insiste à désarmer les groupes armés, conformément à la Feuille de route du Quartette qui a été publiée mercredi dernier ?

— Nous déploierons tous les efforts nécessaires afin d'empêcher tout possible combat inter-palestinien. Mais notre peuple a le droit de dire son mot concernant l'option adoptée par le gouvernement palestinien. Le gouvernement a opté pour une politique que rejette le peuple. Les Palestiniens refusent le désarmement de la résistance. Ils veulent la poursuite de la résistance. Et c'est au gouvernement d'assumer les conséquences de son choix.

— D'aucuns accusent le Hamas d'avoir porté atteinte à l'Intifada et que cette révolte palestinienne n'a finalement rien apporté de concret au peuple palestinien. Qu'en pensez-vous ?

— Comment est-ce qu'un mouvement de lutte pour la libération et contre l'occupation militaire peut-il porter atteinte à son peuple ? En luttant contre l'occupation, l'Egypte et l'Algérie à titre d'exemple n'ont nullement porté préjudice aux intérêts de leurs peuples. Aucun peuple ne s'est libéré sans résistance. Ils veulent nous voir capituler devant l'occupation israélienne.

— Ne pensez-vous pas que les mutations dans le monde et dans la région nécessitent l'arrêt des opérations martyres à l'intérieur des territoires de la Palestine de 1948 ?

— Nous avons déclaré notre disposition à arrêter de cibler les civils israéliens à l'intérieur des frontières de 1948 à condition qu'Israël cesse de s'attaquer aux civils palestiniens. Or, l'Etat hébreu n'a pas arrêté ses agressions. Au contraire, il a poursuivi une politique d'escalade dans son agression, ses assassinats, sa destruction des maisons et des terres agricoles, ainsi que l'arrestation des jeunes Palestiniens. Comment donc Abou-Mazen nous demande de faire confiance à Israël sans garantie aucune ?

— Le fait que Hamas tienne à sa position de poursuivre la résistance armée ne l'exposera-t-il pas à des attaques violentes de la part d'Israël ou même des Etats-Unis ?

— Nous aspirons à mourir comme des martyrs. Nous ne cherchons ni pouvoir ni argent dans les banques. Nous n'avons pas peur des Etats-Unis. Nous allons résister jusqu'à la libération de nos terres, nous allons défendre jusqu'à notre dernier souffle notre dignité, nos croyances ainsi que l'avenir de notre peuple.

— Le Hamas accepte-t-il un Etat palestinien aux frontières de 1967, comme le stipule la Feuille de route ?

— Donnez-nous un Etat dans les frontières de 1967 et nous l'accepterons volontiers. Qui ne voudrait pas d'un Etat ?

— Pourquoi la coordination entre les factions palestiniennes fait-elle défaut ?

— La coordination existe. La dernière opération martyre de Tel-Aviv en est la preuve. Elle a eu lieu grâce à une coordination entre les Brigades d'Ezzeddine Al-Kassam (Hamas) et des martyrs d'Al-Aqsa (Fatah).

— Quelle est la position du Hamas vis-à-vis des appels à la reprise du dialogue national entre les différentes factions palestiniennes et le pouvoir de l'Autorité autonome ?

— Nous sommes prêts à reprendre le dialogue. Mais cela dépend de quel dialogue. Si le but est de défendre notre patrie et nos droits, ce sera indubitablement un dialogue réussi. Mais s'il s'agit d'un simple moyen pour capituler, nous nous élèverons contre ce dialogue.

— Que pensez-vous des raisons réelles des divergences opposant le président Yasser Arafat et son premier ministre Abou-Mazen ? S'agit-il d'une lutte de pouvoir ou concernent-elles les moyens de traiter avec Israël ?

— Israël ne cherche que ses propres intérêts. Il cherche parmi les dirigeants palestiniens celui qui lui donnera plus. Et puisque Yasser Arafat avait refusé au dernier sommet de Camp David II en juillet 2002 (réunissant l'ex-président américain Bill Clinton, Arafat et l'ancien premier ministre israélien Ehud Barak) d'accepter les demandes israéliennes, les Etats-Unis et l'Etat hébreu ont cherché à le marginaliser et à le remplacer par quelqu'un qui serait enclin à accepter ces demandes. Le nouveau premier ministre est disposé à appliquer la politique que réclament Israël et les Etats-Unis en contrepartie de simples promesses. Ils lui ont promis un Etat, mais un Etat qui sera sous l'hégémonie totale d'Israël. Le rôle qui lui incombe est plutôt de chercher le véritable intérêt du peuple palestinien. Nous répétons que ni Abou-Mazen ni n'importe quel autre dirigeant n'ont le droit de déterminer le destin du peuple palestinien. Personne ne peut nous réclamer de nous désarmer, de liquider notre cause et de capituler.

— Croyez-vous que certains pays arabes se verraient obligés d'éloigner de leurs territoires des dirigeants du Hamas en réponse aux pressions des Etats-Unis à cet égard ?

— Nous nous attendons certainement à une telle attitude. Mais ceci n'a aucune importance pour nous. Nous sommes un peuple qui lutte sur son sol pour récupérer ses terres, quelle que soit l'attitude des autres parties. Nous n'allons pas nous rendre, car c'est ici que se trouve notre terre. Personne ne peut nous éloigner de la Palestine. Nous sommes radicalement différents du régime de Saddam Hussein qu'ils ont pu renverser.

— On entend parler de temps à autre de l'organisation d'une direction palestinienne unifiée pour faire face à des échéances cruciales avec Israël, comme celle de la tenue de pourparlers sur un règlement de la question palestinienne. Accepteriez-vous de participer à une telle direction ?

— Nous accepterons s'il s'agit d'une direction nationale dont l'objectif est de recouvrer les terres et de concrétiser notre rêve d'avoir une patrie et non pas le contraire.

— Est-ce que Hamas refuse de mener une quelconque négociation avec Israël et quelle qu'en soit la forme ?

— Pourquoi doit-on négocier avec Israël ? Il existe des personnes responsables de ces négociations (au sein de l'Autorité palestinienne). Il s'agit là d'un jeu américano-israélien. Les Etats-Unis et Israël exercent des pressions sur l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en lui disant que si elle ne négocie pas avec Israël, ce serait le Hamas qui le à sa place. Ce n'est finalement qu'une manœuvre américano-israélienne.

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