CESNUR - Centro Studi sulle Nuove Religioni diretto da Massimo Introvigne
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The 2007 International Conference
June 7-9, 2007
Bordeaux, France
Globalization, Immigration, and Change in Religious Movements

Modernité subculturelle et ésotérisme : la « musique industrielle » et les mouvements magiques.

by Stéphane FRANÇOIS (Université de Lille II)

A paper presented at the 2007 International Conference, Bordeaux, France. Please do not reproduce or quote without the consent of the author.

Dans cette intervention, nous allons nous pencher sur les rapports entre une subculture musicale, la « musique industrielle » et certaines tendances de l’occultisme occidental. Après avoir défini la « musique industrielle », nous montrerons premièrement comment se manifeste cette imprégnation et deuxièmement, que cette imprégnation est plutôt l’expression d’un engagement magique. En effet, nous montrerons que certains musiciens de cette scène marginale sont de fait des membres de structures occultistes.

La « musique industrielle » est apparue dans la seconde moitié des années soixante-dix. Elle est issue à la fois des expérimentations musicales de cette époque et de la scène punk qui lui a succédé. De ces deux filiations, elle a surtout retenu la radicalité, musicale et discursive, en particulier politique. Grosso modo, la musique industrielle est une appellation générique regroupant une multitude de formations musicales aux styles parfois très différents les uns des autres : cela va de la musique électronique rythmique proche de la « techno » (elle est d’ailleurs l’un de ses ancêtres) au « néo-folk » influencé par la culture et les mythes européens, en passant par les musiques expérimentale, dadaïste, futuriste, concrète, très proche de la musique contemporaine établie. Cependant, des points communs peuvent être dégagés de cette mosaïque de genres : tous les sous-registres tendent vers l’atonalité et/ou l’expérimentation. La musique industrielle est souvent instrumentale, le chant ne se prêtant pas à ce genre musical mais il existe aussi des chansons de « forme traditionnelle ».

Outre une radicalité héritée des milieux punks, l’une des caractéristiques de ce milieu est une profonde imprégnation des thèmes et des thèses occultistes. Nous verrons ultérieurement comment ce thème a imprégné aussi profondément cette scène musicale. Cependant, nous pouvons déjà distinguer quatre grandes tendances ésotériques : une première comprenant toutes les formes de mouvements magiques contemporains ; une seconde comprenant Julius Evola et les traditionalistes ; une troisième néo-païenne sous ses différentes variantes odinisme, chamanisme, néo-sorcellerie, etc. ; et enfin une dernière sataniste, au sens « laveyen » du terme. Cependant, nous ne nous intéressons dans cette intervention qu’à la première catégorie.

Les thèmes crowleyens sont un héritage direct de la décennie précédente. En effet, cette scène est largement tributaire de la génération précédente qui fut la première à célébrer ouvertement Crowley (cf. le cinéaste expérimental américain Kenneth Anger, les Beatles (il figure sur le disque Sergeant Pepper’s Lonely Hearts Club Band - première ligne en haut à gauche deuxième visage), par David Bowie et Led Zeppelin) et qui le fit connaître auprès d’un nouveau public. Un nombre important des groupes étudiés se réfèrent aussi fréquemment à un autre « magicien », disciple de Crowley, l’Anglais Austin Osman Spare, le fondateur du culte de Zos Kia. Ils se réfèrent aussi enfin à la Magie du Chaos dont la principale structure, l’Illuminated Order of Thanateros ou IOT, a été fondée par un disciple de Spare, Peter Caroll, un personnage évoluant au sein de la subculture punk se réclamant de Dada, de Deleuze, de Derrida, du taoïsme, etc. En fait, la Magie du Chaos mélange tout dans un relativisme total.

De fait, ces musiciens ou ces groupes sont souvent membres de sociétés dites « initiatiques », en particulier une structure thélémite, l’OTO et ses dissidences, l’IOT ou le Culte de Zos Kia, même s’il existe un grand nombre de pratiques sauvages, c’est-à-dire qui se font à l’extérieur de toutes structures initiatiques. D’ailleurs, certains se considèrent plus comme des magiciens qui utilisent la musique à des fins magiques que comme des musiciens à part entière. En conséquence de quoi, les concerts de ces groupes doivent plutôt être vus comme des cérémonies rituelles auxquelles assiste le public. En effet, une forte majorité de ces groupes fait une « musique » instrumentale expérimentale que l’on appelle la « musique rituelle » pour son aspect mystique assez fascinant et dérangeant. A ce titre, des groupes ont fait des concerts dans des lieux hautement symboliques comme des églises, d’anciens lieux de culte païens ou les locaux de structures magiques.

Outre cet engagement, l’intérêt pour la magie, au sens défini par Massimo Introvigne[1], peut s’exprimer de plusieurs façons : premièrement, par un engagement magique stricto sensu, en affirmant ouvertement son appartenance à un mouvement magique précité ; deuxièmement, en faisant une musique magique de type rituel/tribal ou en incorporant des samples[2] de Crowley ou de tout autre magicien ; troisièmement, en écrivant des textes de chansons à la thématique occultiste ou à la mise en musique de textes d’occultistes ; quatrièmement, enfin en illustrant la couverture et le livret du cd d’illustrations ou de textes magiques. Bien entendu, ces quatre éléments peuvent se combiner.

L’exemple le plus connu des groupes « magiques » se réclamant de Crowley reste Psychic TV, longtemps façade du Temple of Psychic Youth ou TOPY, un ordre magique fondé au début des années quatre-vingt par le musicien Genesis P. Orridge. Les fondateurs du TOPY, Genesis P.Orridge et Peter « Sleazy » Christopherson, étaient membres d’une dissidence de l’OTO. Genesis P. Orridge reprend la démarche de Crowley mais dans l’optique de fonder une anti-religion libertaire. Selon Genesis P. Orridge, « On peut littéralement se ‘‘recréer’’, se reprogrammer en montant de manière différente, non linéaire, ses propres souvenirs[3]. » De fait, Genesis P. Orridge réinterprète la technique du cut-up inventée par William Burroughs, c’est-à-dire qu’il adapte les cut-up à la pratique magique. Selon lui, « la magie est la science du cut-up comportemental[4] ». Un grand nombre de musiciens de la mouvance industrielle ont fréquenté le Temple de la Jeunesse Psychique jusqu’à sa fermeture au début des années quatre-vingt-dix, sous la pression de ligues de vertu londoniennes.

Psychic TV est important car c’est à la fois le groupe pionnier et un groupe culte dans ce milieu qui a profondément influencé cette scène. En effet, il fut le premier à intégrer la voix de Crowley dans ses morceaux (cf. « Enochian Calls » sur le live Descending, sorti en 1984). Il est aussi le premier groupe a intercaler des bribes de cérémonie païenne entre ses chansons (le concert Those who do not enregistré en 1983 en Islande et comprenant un rituel Asatru célébré par celui qui l’a réactivé, Sveinbjorn Beinteinson. Plusieurs membres du TOPY participaient à cette cérémonie. En effet, les premiers concerts, les « disconcerts », jusque vers 1984, doivent être vu comme des cérémonies magiques et/ou néo-païennes). Tandis que les deux premiers albums de ce groupe, Force the Hand of Chance -1982- et Dream Less Sweet -1983-, mélangent expérimentations atonales, chansons pop et musiques rituelles. D’ailleurs, ce groupe avait joint aux milles premiers exemplaires de Force the Hand of Chance un second disque, Themes 1, de musique rituelle composée par des « initiés » du TOPY (Peter Christopherson, Stan Bingo, Genesis P. Orridge, son épouse Paula et David Tibet).

A suite de l’évolution « pop » de Psychic TV, l’un de ses membres, Christopherson, a fondé en 1983 un autre groupe au soubassement occultiste, Coil, qui deviendra lui aussi une référence majeure de cette scène musicale. Ce groupe a accentué l’aspect magique de Psychic TV en insistant sur l’aspect rituel de leur musique. Ainsi, ce groupe a repris le symbole de la magie du Chaos, la « chaosphère » comme logo de son groupe. Mais il vrai que Balance fut membre de l’IOT. John Balance, était aussi un disciple de Spare. Ainsi, il affirmait, d’une façon presque hagiographique, que « cet homme a voyagé dans des régions psychiques rarement explorées de façon brillante et systématique, pour ensuite en rendre compte dans de fabuleux documents[5] ».

Un troisième groupe, né à la même époque que Coil, lui aussi issu de Psychic TV et lui aussi figure majeure de ce milieu, a lui aussi développé un contenu occultiste riche. Il s’agit de Current 93 dont le nom est une référence explicite à Aleister Crowley (il ne faut pas oublier que le « courant 93 » renvoie explicitement à la doctrine de Crowley, le nombre 93 étant un nombre fondamental chez Crowley). Son leader, David Tibet est, lui aussi, un membre de l’OTO et du TOPY. Ainsi, Tibet a édité dans les années quatre-vingt un disque d’incantations enregistrées par Aleister Crowley en personne à la fin des années quarante : The Hastings Recording. La musique des premiers albums de Current 93 consistait alors en des plages atmosphériques, aux textes foncièrement antichrétiens. Par la suite, les textes sont restés mystiques mais David Tibet est passé par le bouddhisme tibétain avant de devenir un chrétien, fort peu orthodoxe d’ailleurs marqué par le christianisme copte. Durant le même temps, la musique évolue vers un folk psychédélique. Tibet a reçu un titre honorifique important de la part du caliphe de l’OTO inc, « Hymenaeus Beta », pseudonyme de William Breeze, un musicien américain qui travaille avec Psychic TV, Current 93, Coil[6].

Ces trois groupes donnèrent donc naissance au début des années quatre-vingt à la musique analysée dans cette intervention. En effet, leur statut de groupes-références (par la qualité de leurs productions) fit école en provoquant en retour un phénomène d’imitation auprès de leur public. En effet, les « fans », très imprégnés par les messages véhiculés par leurs idoles tentent de les imiter avec plus ou moins de succès en créer des groupes, qui sont souvent malheureusement que des clones de leurs modèles. On vit donc apparaître, durant les années quatre-vingt, un phénomène d’exotérisation de l’ésotérisme au travers du grand nombre de groupes se réclamant des mouvements magiques précédemment au point de devenir l’un des attributs de la musique industrielle, même si celui-ci a tendance à disparaître depuis le début des années 2000.

Le milieu que nous venons d’étudier est l’une des multiples manifestations des subcultures, connues sous l’appellation générique d’« underground », nées dans le sillage de la contre-culture des années soixante, mélange de culture « pop » et d’agitation estudiantine[7]. Ces subcultures ont proposé des modèles alternatifs de vie[8]. C’est pour cela qu’elles doivent être étudiées – ce qui est loin d’être souvent le cas chez les universitaires, d’autant plus, qu’elles anticipent, voire qu’elles sont à l’origine de certaines évolutions sociétales. L’exemple le plus parlant reste le cas du « piercing » qui était à l’origine, c’est-à-dire dans les années soixante, une pratique confinée dans le milieu dit des « modern primitives[9] » avant de se diffuser dans les subcultures, en particulier industrielle et punk.

En effet, il ne faut pas oublier que les subcultures, qui sont sociologiquement parlant des micro-sociétés marginales, ne sont pas pour autant des mondes fermés sur eux-mêmes : il existe des va-et-vient permanents entre celles-ci. En effet, les valeurs de l’une peuvent féconder une autre et revenir modifiées, fécondant en retour leur subculture d’origine. Ainsi, il existe des passerelles assez larges entre la « musique industrielle », les avant-gardes artistiques, le milieu « gothique », les mouvements magiques, le monde des sexualités marginales et le néo-paganisme. Cette proximité offre l’avantage d’accroître une audience limitée par définition. Nous pouvons même dire que nous sommes en présence d’une « nébuleuse des hétérodoxies[10] », pour reprendre un concept forgé par Jacques Maître, c’est-à-dire une recombinaison complètement originale de cultures marginales, d’intérêts ésotériques et de thèses politiques radicales.



[1] Dans la magie initiatique l’accent est mis sur la légitimité initiatique tandis que dans la magie cérémonielle l’accent est mis sur l’efficacité des cérémonies. En effet, « Alors que l’expérience religieuse implique, à l’égard du sacré qui se manifeste, une attitude de vénération et de gratuité, l’expérience magique - qui est surtout expérience de pouvoir (kratophanie) - voudrait attirer et manipuler le sacré pour le mettre au service des buts du sujet agissant. Ces buts pourront être relativement nobles : accéder à des dimensions "supérieures" de conscience et de connaissance ; ou très matériels : recherche du gain ou d’une liaison sentimentale. » M. Introvigne, La magie. Les nouveaux mouvements magiques, Paris, Droguet et Ardant, 1993, p. 19.

[2] Un sample est une « séquence » sonore échantillonnée par ordinateur et utilisée comme boucle ou fonds sonore par le musicien.

[3] Rémi Sussan, Les utopies posthumaines. Contre-culture, cyberculture, culture du chaos, Sophia-Antipolis, Omniscience, 2005, p. 239.

[4] Ibid., p. 239.

[5] Cité in L’Originel, n° 5, printemps 1995, p. 88.

[6] C’est le successeur de Mc Murthy. Il est membre de l’OTO depuis 1978.

[7] Jean-François Bizot, Underground. L’histoire, Paris, Denoël/Actuel, 2001 et Jean-Pierre Bouyxou/Pierre Delannoy, L’aventure Hippie, Paris, Edition du Lézard, 2000.

[8] Cf. Laurent Courau, Mutation pop et crash culture, Rodez, Le Rouergue/Chambon, 2004.

[9] Cf. Vales/Juno, Modern Primitives, San Francisco, Research publishing, 1989.

[10] C’est-à-dire un « Ensemble d’éléments disparates ne présentant aucune cohérence systématique entre eux, mais formant toutefois un conglomérat dans une protestation commune contre les savoirs “officiels”. » Jacques Maître, « Ésotérisme et instances officielles de régulation des savoirs », in Jean-Pierre Brach et Jérôme Rousse-Lacordaire (dir.), Études d’histoire de l’ésotérisme, Paris, Cerf, 2007, p. 23.

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