Colloque européen sur le sectarisme - Paris, 23 avril 1999 - Discours d’ouverture de M. Alain Vivien, Président de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes

Voir commentaire en anglais.

Depuis le début des années 1980, la France se préoccupe du développement du sectarisme, à l’intérieur de ses frontières et au-delà.

Un premier rapport avait constitué, lors de sa publication en 1983, le premier acte associant la volonté du Premier ministre et l’attention de l’Assemblée nationale française sur l’examen des problèmes posés par ce fait de société. Fait de société nouveau non par sa nature - les sectes, il y en a toujours eu - mais par son ampleur et l’utilisation systématique de nouvelles techniques de manipulation mentale beaucoup plus performantes que par le passé.

Mais peut-être n’est-il pas inutile de commencer par préciser ce que, en France, nous entendons par secte, car ce terme recouvre, dans les différentes langues du monde, des acceptions très contrastées.

Nous n’appelons pas secte, faut-il le répéter, les branches séparées des grandes confessions religieuses. Ni non plus les nouvelles expressions de la liberté religieuse, fussent-elles singulières dans leurs croyances et leurs comportements.

Nous appelons secte, en France, des associations constituées dont la structure idéologique est totalitaire et dont le comportement porte gravement atteinte aux libertés fondamentales et, partant [sic], à l’équilibre social.

Une telle définition n’est pas, à la date de ce colloque, intégrée dans le droit français comme elle l’est depuis peu dans le droit du Royaume de Belgique. Le sera-t-elle à l’avenir ? Nombre de juristes, de magistrats, de législateurs y pensent. De fait, une définition juridique permettrait à la Justice et à ses auxiliaires un meilleur cadrage des délits et rassurerait une opinion de plus en plus sensible aux méfaits du sectarisme.

Quoi qu’il en soit, le droit français n’est pas sans arme face aux sectes. Depuis 1901, existe une loi, fort connue, sur le contrat d’association. D’autre part, et cela depuis 1905, la République a choisi un régime de séparation entre les églises (le pluriel a son importance) et l’Etat.

Cette indépendance réciproque a permis l’épanouissement d’une société de liberté et, sauf pendant la période de l’occupation nazie, rendu impossible le totalitarisme idéologique officiel, liberticide aussi bien sur le plan des consciences que sur celui des institutions politiques.

Ces deux lois constituent des piliers de nos institutions. Elles tiennent compte de la spécificité des associations religieuses et leur concèdent, sous les statuts de congrégation ou d’association cultuelle, des privilèges notamment en matière fiscale, dont la contrepartie est l’obligation pour elles d’une gestion transparente.

Ces lois conviennent aux grandes confessions, comme la catholique ou les protestantes, à l’église juive [sic] comme au bouddhisme et, probablement bientôt, à l’Islam.

Il est paradoxal que les sectes, dont la plupart se targuent d’objectifs religieux, ne se constituent pas en France sur une telle base. La raison en est probablement qu’elles ne sont nullement disposées à accepter la transparence qu’imposent des institutions démocratiques.

De fait, lorsqu’au-delà de leurs discours officiels toujours flatteurs, on examine le comportement des sectes - et particulièrement des sectes multinationales implantées en France - on découvre bien autre chose que l’expression d’une liberté morale.

Innombrables sont les tristes affaires dont [sic] la Justice a dû prendre en compte, de la condamnation pour escroquerie de Ron Hubbard en 1978 aux atteintes inacceptables à la personne humaine provoquées à l’encontre d’adultes mai aussi d’enfants mineurs, par l’Ordre du Temple Solaire.

Actuellement, près de 160 affaires sont actuellement [sic] entre les mains de la Justice, dix fois plus qu’il y a une quinzaine d’années. Ce n’est pas que la France soit plus menacée par le sectarisme que d’autres pays européens. Peut-être figure-t-elle parmi ceux qui se défendent le plus activement ? La lutte que nous menons intéresse au plus haut points plusieurs nations qui nous invitent à leur faire part de notre modeste expérience.

Parallèlement à cela, le Parlement français poursuit ses investigations approfondies. Une commission d’enquête sur l’origine des ressources des sectes rendra un rapport public au mois de juin prochain. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté récemment les mesures nécessaires au contrôle des activités scolaires mises en oeuvre par certaines sectes peu respectueuses de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Dans quelques semaines, les associations reconnues d’utilité publique pourrant se constituer partie civile aux côtes des victimes du sectarisme dans les procès engagés par elles.

Ces premiers résultats n’ont été rendus possibles que grâce à l’action des associations privées qui luttent contre la manipulation mentale et qui sont fermement soutenues, tant par le Président de la République que par le Premier ministre.

Mais le succès de cette bataille serait incertain dans les limites étroites de l’hexagone français et des départements d’outre mer.

Un droit associatif européen est en train, peu à peu, de se constituer.

Dès lors que l’on ne confond plus dans les instances européennes la liberté de croire (ou de ne pas croire) et la fausse liberté du renard dans le poulailler, les femmes et les hommes peuvent s’entendre.

La commission des libertés publiques et des affaires intérieurs du Parlement de l’Union européenne a adopté en février 1998 la résolution 127 qui fixe une ligne de conduite à l’égard des excès du sectarisme, notamment lorsqu’ils se dissimulent sous le masque religieux (1).

La commission des questions juridiques et des droits de l’Homme de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté récemment à Rome le rapport équilibré de M. Adrian Nastase sur le même sujet. Ce rapport sera soumis à l’assemblée à la fin de ce mois (2).

Mai tout n’est pas blanc dans le paysage.

A Vienne, lors de la dernière réunion sur la question de la liberté de religion du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (ODIHR) - organisme dépendant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) - la présence infiltrée de plusieurs sectes était manifeste. De [sic] soi-disant modérateurs, désignés en toute obscurité, ont beaucoup plus justifié l’action des sectes qu’ils n’ont compati à la souffrance de leurs victimes. De tels errements ne doivent pas se reproduire.

Pas plus que la croisade organisée par le Département d’Etat contre les Etats qui se défendent contre le sectarisme. A croire certains bons apôtres, la liberté religieuse ne serait pas remise en cause en Iran ou en Afghanistan, mai par les mesures de précaution ou de prévention adoptées en République fédérale d’Allemagne ou en France à l’encontre des sectes totalitaires. Comment ne pas signaler que parmi les membres de la délégation officielle des Etats-Unis qui ont séjourné récemment à Paris, se trouvait un membre notoire d’une des sectes multinationales les plus dangereuses ?

Mais les citoyens des Etats-Unis commencent eux aussi à réagir contre des excès qui rappellent fâcheusement l’ère du sénateur Mac Carthy [sic]. Dans quelques semaines un congrès organisé par l’American family foundation [sic] se tiendra à Minneapolis. Beaucoup d’entre vous s’y rendront et témoigneront de notre volonté commune de défendre nos démocraties contre ces totalitarismes nouveaux.

Certes, les pouvoirs publics ne peuvent pas tout. Ce qui compte, c’est la prise de conscience de l’opinion et la solidarité dont commencent à faire preuve en la matière les Etats européens.

C’est dire tout l’intérêt que la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, qui relève du Premier ministre français, attache à vos travaux.

C’est dire combien nous formulons de voeux pour leur succès. La tâche est immense, et nos adversaires bien souvent déloyaux. Mais il s’agit de la liberté humaine aujourd’hui menacée. Le combat d’aujourd’hui rejoint les combats anciens pour la liberté de penser, de croire et d’exprimer contre tous les obscurantismes d’un passé que nous voulons à jamais révolu.

 

NOTES DU CESNUR

  1. En juillet 1998 la résolution 127 n’a pas été approuvée par l’assemblée plénière du Parement de l’Union européenne, dont elle ne constitue donc pas un document officiel.
  2. Le 29 avril 1998, à cause de plusieurs contrastes sur le texte, le rapport de M. Nastase a été éliminé de l’agenda et n’a donc pas été soumis au vote attendu.


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