CESNUR - Centro Studi sulle Nuove Religioni diretto da Massimo Introvigne
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The 2007 International Conference
June 7-9, 2007
Bordeaux, France
Globalization, Immigration, and Change in Religious Movements

Les enjeux religieux de la radiophonie en Afrique. Le cas du Ghana et du Togo

by Étienne L. DAMOME (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, GRER, CEMIC)

A paper presented at the 2007 International Conference, Bordeaux, France. Please do not reproduce or quote without the consent of the author.

Nous observons depuis quelques années[1] un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui a pris des proportions insoupçonnées à partir des années 1990 : la présence grandissante de la religion dans les médias africains, notamment dans les radios qui restent de loin le média le plus populaire en Afrique. Mon observation a révélé que deux sources nourrissent ce phénomène contemporain : le développement subit d’une multitude de radios religieuses chrétiennes et musulmanes et la diffusion parfois concurrentielle des programmes religieux par les médias non confessionnels.

Prolifération de radios religieuses

À propos de cette première source, il faut rappeler que la prolifération de radios religieuses est subséquente à la libéralisation de l'espace audiovisuel intervenue dans nombre de pays au cours des années 1990. Dans la foulée de la création des radios privées sont nées et ont continué à naître un nombre incalculable de radios religieuses. Quelques chiffres à titre d’exemple : au Togo où les religions traditionnelles sont majoritaires, on dénombre 27 stations chrétiennes et quatre stations musulmanes ; au Burkina Faso , c’est l’islam qui est majoritaire (52%), mais on trouve dans ce pays 21 radios chrétiennes et trois musulmanes. On peut multiplier les exemples, mais aucun ne montrera mieux l’ampleur du phénomène que la République Démocratique du Congo, où, semble-t-il, presque toutes les stations privées sont chrétiennes. Il n’est pas sûr que juridiquement parlant elles soient toutes des radios confessionnelles. Le fait est que les radios inscrites comme commerciales fonctionnent comme des radios religieuses, d’où leur assimilation. Dans ce pays, comme dans d’autres et en particulier ceux cités plus haut, plusieurs radios chrétiennes et musulmanes sont doublées de chaînes de télévision.

Cependant, le nombre de radios confessionnelles et même de télévisions n’explique pas tout. D’ailleurs dans certains pays comme le Burkina, le Bénin et le Ghana, les instances de régulation des médias ont imposé un quota de programmes religieux à ne pas dépasser. D’où vient donc le sentiment que tout le secteur audiovisuel semble totalement confessionnel ? C’est sans doute à cause de la diffusion importante de programmes religieux par des médias dont la vocation première n’est pas de relayer prêcheurs et évangélistes.

Massification des programmes religieux sur les médias non confessionnels

Dans les pays qui ont connu le développement de médias religieux, les médias non confessionnels diffusent des programmes religieux, à l’instar de leurs confrères. C’est le cas du Togo mais aussi du Burkina-Faso voisin. Certaines radios commerciales, telle Radio Victoire, donnent pratiquement l’impression d’être des radios religieuses. On y diffuse quotidiennement en moyenne cinq à six heures de programmes religieux, surtout dans la nuit et en début de journée. Dans les milieux musulmans où curieusement on ne trouve que des radios chrétiennes, les radios commerciales et communautaires tiennent pratiquement lieu de radios musulmanes. Ces nombreux programmes religieux ajoutés aux 80% de programmes explicitement religieux des radios religieuses donnent le sentiment que les radios togolaises sont toutes confessionnelles. Mais cette impression n’est pas moins forte dans les pays qui n’ont pas connu la multiplication de radios religieuses. Dans certains cas, celui du Ghana par exemple, c’est l’État qui a interdit l’implantation de radios religieuses. Dans d’autres, celui du Bénin notamment, l’État a limité leur nombre. Néanmoins ces pays ont été gagnés par la vague d’adoption de la diffusion des programmes religieux comme fonction essentielle des médias. En effet, au cours de la même période, on a assisté à la massification des programmes religieux dans les médias publics et privés, que ces derniers soient commerciaux ou associatifs/communautaires. Au Ghana, certaines heures semblent réservées aux programmes religieux. Ainsi, en dehors de BBC, RFI et d’une certaine manière de la radio nationale, les stations privées du pays ne diffusent que des programmes religieux entre 3h et 9h du matin. La Ghana Broadcasting Corporation (GBC) elle-même n’a pas moins de 16 programmes hebdomadaires animés par les différentes composantes religieuses et par des journalistes de la station.

L’écrasante place qu’occupe la religion dans les radios de ces pays a donc une source religieuse (les radios confessionnelles) et une source non religieuse (les radios non confessionnelles). Mais au fond, il semble qu’un seul facteur détermine ces deux sources et renforce le phénomène. Il semble en effet que ce soit moins la libéralisation du secteur audiovisuel que le contexte religieux qui explique l’invasion de l’espace public par le religieux. L’origine du phénomène coïncide en effet avec une situation nouvelle dans le domaine du sentiment religieux et de la pratique religieuse, situation marquée par un réveil spirituel pour le moins fracassant, suite à l’arrivée des groupes néo-évangéliques et pentecôtistes.

Dynamisme religieux et prolifération du pentecôtisme

La place qu’occupe la religion dans les médias est d’abord le signe d’un dynamisme religieux sans précédent. Signe d’un secteur religieux décomplexé qui entend utiliser les moyens modernes pour se dire ; qui entend profiter du nouveau vent de liberté qui souffle sur l’Afrique depuis la fin des années 1980 pour sortir des couvents traditionnels, des églises et des mosquées. Ce dynamisme se reconnaît à plusieurs indicateurs. Premièrement, une effervescence comme on n’en jamais vue autour des lieux-dits de religiosité. Certaines églises, surtout celles des nouvelles communautés chrétiennes issues du protestantisme évangélique, mobilisent des milliers de fidèles à chacun de leurs rassemblements. Ces lieux de culte ont pratiquement été tous redimensionnés pour leur permettre de contenir tant de fidèles. Ils ne se ferment plus parce qu'à toute heure, des gens y viennent se recueillir et prier. Il se reconnaît deuxièmement par l’exacerbation du prosélytisme. Des campagnes d’évangélisation s’organisent régulièrement accompagnées de séances de guérisons et de miracles. Le troisième indicateur de ce regain de religiosité s’identifie dans le caractère populaire que la religion a pris dans le cadre d’États pourtant laïcs. Cela s’est manifesté à travers l’occupation de tout le champ social, jusqu’alors chasse gardée de l’État et des politiques.

Mais ce renouveau religieux a été lui-même provoqué par la montée en puissance des églises indépendantes pentecôtistes et plus généralement évangéliques. La fin des années 1980 et le début des années 1990 marquent en effet l’exportation des Églises indépendantes de type pentecôtiste et charismatique des pays anglophones et lusophones (par où elles ont transité en provenance de l’Amérique du Nord et du Sud) vers les pays francophones. Ce mouvement d’implantation d’Églises individuelles ou de type associatif s’est accompagné de l’usage massif des médias dans le style des télévangélistes. Cet usage plutôt propagandiste destiné à mobiliser des fidèles pour leurs églises a déclenché la création de radios pastorales par les Églises établies (catholique, protestantes) pour contrer l’influence des nouvelles communautés. Le contexte religieux a ainsi imposé une double logique à la communication religieuse.

Deux types de communication

Le format ou la politique programmatique des radios font apparaître en effet deux orientations de la communication religieuse : la communication missionnaire axée sur la propagande religieuse, l’évangélisation, le prosélytisme et la communication pastorale fondée sur le souci d’administration des communautés établies.

-       Ces deux types de communication sont le reflet d’une situation religieuse marquée par le tiraillement des croyants entre de jeunes et dynamiques groupes religieux qui les attirent mais qui n’ont pas encore le temps de les organiser en communautés viables, et d’anciennes structures ecclésiales sclérosées mais dont l’expérience rassure davantage.

-       Ils sont également le reflet d’une concurrence à peine voilée entre ces jeunes entreprises ecclésiales en quête d’expansion qui « ratissent large » et par conséquent détournent les fidèles des communautés établies, et ces dernières soucieuses de développer une contre campagne visant à dissuader ceux qui ne sont pas encore partis de le faire. Elles jouent pour cela sur trois registres : premièrement elles agitent l’épouvantail de la notion de secte, terme dont ces nouvelles communautés sont systématiquement affublées ; deuxièmement, les anciennes communautés les accusent d’être détentrices de fausses doctrines ; le troisième registre est moral, les anciennes communautés étant à l’affût de tout récit de scandale que l’un ou l’autre responsable aurait provoqué pour mettre en garde les fidèles tentés de les rejoindre.

-       Ils sont enfin le reflet de deux domaines d’action du religieux : le spirituel et le temporel. En effet, le format missionnaire se contente de programmes exclusivement religieux faisant une grande place aux prédications et à l’enseignement ; même si on y trouve quelques programmes socioculturels, ceux-ci sont présentés sous le prisme de la dimension spirituelle. Le format pastoral consacre, à l’instar du précédent, une grande partie de ses programmes à la dimension spirituelle. Mais il se démarque du premier sur deux point : tout d’abord il priorise des émissions de formation biblique, théologique, spirituelle, liturgique et pastorale ainsi que de émissions de vie communautaire et de prière. Deuxièmement il a la particularité de se préoccuper d’intégrer la dimension temporelle en s’ouvrant à divers problèmes de la société, notamment l’éducation, la santé, le développement social, estimant que l’évangélisation va de pair avec la promotion humaine.

Comme on le voit, on peut analyser la situation religieuse contemporaine des pays africains sous le prisme de leur communication. On peut même y lire les signes d’un certain changement du religieux.

Communication religieuse et mutations religieuses

Le dernier aspect à signaler dans ce bref aperçu du sujet est l’effet de mutations religieuses provoquées la conjugaison de deux phénomènes : d’une part la multiplication des Églises, évangéliques, pentecôtistes et charismatiques, et de l’autre l’usage massif des radios.

-       Ce changement est d’abord repérable au niveau de l’individualisation du croire. Les croyants qui se tournent vers les leaders charismatiques ne s’affilient pas tous pour autant à leurs églises et ne reviennent pas non plus forcément aux anciennes structures d’où ils sont issus. Les structures religieuses elles-mêmes ayant perdu leur étanchéité, la possibilité est désormais donnée de vivre son propre univers religieux à travers ce que les radios diffusent plutôt qu'à travers une insertion concrète dans un cadre donné. Il s’est ainsi créé une catégorie de chrétiens qui se contentent de puiser toute source de vie chrétienne dans les médias dont le pluralisme et la concurrence permettent des choix. Dans la société pluraliste que les radios contribuent à créer et à maintenir, il est devenu possible au croyant de sortir de son milieu culturel et religieux jusque-là incontesté. Les radios permettent ainsi non seulement un vagabondage religieux mais également un rapport très individualisé au religieux. Ce rapport est libre de toute appartenance et détaché de toutes relations. On se situe pratiquement dans le believing without belonging de Grace DAVIE (1994). Elles "permettent de croire sans appartenir, d'être religieux sans se lier à une communauté et une organisation religieuse, d'être religieux en solo" comme l'aurait dit Jean-Paul WILLAIME (2000 : 315).

-       Cette autonomisation favorise à son tour l’engendrement à l’infini de nouvelles entreprises religieuses. Chacun ayant accès aux sources du sacré sans avoir nécessairement à fréquenter les hauts lieux de la formation religieuse, il n’est plus besoin de recevoir la permission de l’autorité religieuse compétente en dehors du mandat privé reçu de Dieu. Les radios religieuses seraient ainsi facteurs de duplication du modèle d’Églises personnelles.

-       Elles sont également la source d’une nouvelle légitimation du pouvoir religieux puisqu’elles démocratisent l’accès aux sources du pouvoir et légitiment ceux qui s’en emparent par une popularisation médiatique. En effet, la plupart de ceux qui ont fondé des églises « personnelles » se sont d’abord fait connaître par la radio. Certains ont même créé une station radio pour cristalliser une audience religieuse qu’ils ont ensuite su convertir en communauté de fidèles.

-       Les radios religieuses sont enfin le lieu d’élaboration et surtout de relais de nouveaux produits théologiques. Elles sont aujourd’hui le principal canal de vulgarisation de la doctrine de la prospérité, de l’intramondainisation du salut, de la vision manichéenne du monde, de l’insistance sur l’évangile de la conversion, etc. Cela a conduit à la mise en veilleuse de la théologie de la sainteté et du sacrifice, entre autres.

Mais le changement religieux est également observable au niveau de l’impact de cette action religieuse sur les Églises établies. En effet la réussite des modèles véhiculés par les nouveaux groupes religieux a eu comme un effet de fouet sur les anciennes communautés. Sans céder à la logique de la contre-offensive (au niveau doctrinal, liturgique, moral...) qu’elles leur livrent pourtant depuis leur avènement, elles leur empruntent les modèles qui réussissent dans leurs médias : prière d’intercession et de réconfort en direct, prière de guérison, style de prêche, animation charismatique, adoption du gospel comme genre musical, cours bibliques sur antenne, etc.

La même analyse peut être faite au niveau de l’islam. On a deux groupes en présence : l’un majoritaire, le sunnisme avec ses différentes familles religieuse, et l’autre quasiment traité comme une secte, la jamaat islamiya ou ahmadiyya. Les deux sont propriétaires de radios qui renvoient à l’observateur deux modes de communications : le prosélytisme et la gestion des communautés. On y décèle là aussi deux types de missions : une mission ad extra, et une mission ad intra. Le contenu de la communication obéit également à deux logiques : la mise en avant de la dimension spirituelle par les radios wahhabites (sunnites) et l’intégration du temporel par les ahmadis qui fonctionnent en Afrique pratiquement comme une ONG. Au-delà de la situation religieuse, on peut également percevoir à travers la radio les signes d’une mutation religieuse en cours. Ils se trouvent au niveau d’un changement d’attitude vis-à-vis de la culture africaine. De jeunes intellectuels musulmans formés dans les universités wahhabites d’Arabie Saoudite et du Koweït, prêchent de plus en plus un islam débarrassé des éléments culturels. Beaucoup d’analystes relèvent effectivement une certaine radicalisation de l’islam de l’Afrique Noire, du moins en Afrique de l’Ouest.

Quant aux religions traditionnelles, elles n’ont pas de stations radios. Mais elles ne sont pas moins présentes dans les médias. Leurs responsables animent quelques émissions sur les radios, notamment au Togo, au Bénin et au Ghana. Elles sont dans tous les cas omniprésentes à travers les reportages, les interviews, l’actualité et les émissions culturelles. Mais ce qui mérite le plus d’être souligné à leur propos, c’est ce qu’on pourrait appeler la pentecôtisation du culte traditionnel. En même temps que le passage à l’antenne des tradipratitiens constitue la forme la plus visible de la présence de la religion traditionnelle dans les médias, il offre à voir un changement réel dans la manière de fonctionner des leaders religieux traditionnels. Avant l’invasion des plateaux de télévision et des studios de stations radios par les pasteurs évangéliques et pentecôtistes qui exercent en direct leur charisme de guérison ou diffusent leur publicité, on était familier de guérisseurs traditionnels assimilés à des sorciers et craints comme tels. À la suite des charismatiques, ces guérisseurs sont devenus de véritables champions de la communication marketing et se font maintenant appeler docteurs ou professeurs. Le mimétisme est allé jusqu’au style de communication. Cet attrait exercé par les médias entraîne d’ailleurs une citadinisation croissante de ceux qu’on retournait naguère consulter au village. C’est au travers de ce que livrent les tradithérapeutes sur les médias que nous découvrons plusieurs pans d’une religion restée en marge des mutations sociales modernes et contemporaines.

En guise de conclusion notons que ce rapide tour de la question nous a permis de faire des constats majeurs. Tout d'abord, l'existence manifeste d'une corrélation entre le développement du mouvement religieux, l'émergence de radios religieuses et l'importance du fait religieux sur les radios non confessionnelles. Plusieurs enjeux s'y entremêlent et sont aussi importants les uns que les autres au point que chacun pourrait être suffisant pour expliquer à lui seul le phénomène de quasi propagande religieuse constatée. Il est important de noter surtout le facteur de changement social que cela induit sur les institutions religieuses et la dimension religieuse en général. Le second constat comporte un grand intérêt pour la recherche. Les radios religieuses sont aujourd’hui en Afrique, à notre avis, une grande porte ouverte sur le phénomène religieux dans son ensemble. On peut y observer comme dans un miroir la situation religieuse et les mutations qui s’y déroulent depuis quelques décennies.



[1] Dans le cadre d’une thèse en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 intitulée « Radios et Religion en Afrique ».