CESNUR - Centro Studi sulle Nuove Religioni diretto da Massimo Introvigne
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The 2007 International Conference
June 7-9, 2007
Bordeaux, France
Globalization, Immigration, and Change in Religious Movements

Immigration africaine et nouvelles identités religieuses à Bordeaux

by Annie LENOBLE-BART (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3) en collaboration avec Marc SPINDLER (Université de Leiden)

A paper presented at the 2007 International Conference, Bordeaux, France. Please do not reproduce or quote without the consent of the author.

Bordeaux est en pleine mutation. Certains changements sont classiquement liés à la mondialisation ; d’autres sont plus spécifiques, adossés à des particularités historiques et/ou locales[1]. Pour illustrer des mutations du religieux, nous avons choisi des exemples dans le champ d’investigations de trois chercheurs déjà habitués à une réflexion commune, à la fois dans des programmes de l’Université de Bordeaux 3 et de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA) mais également dans ceux du CREDIC (Centre de Recherches et d’Échanges sur la Diffusion et l’Inculturation du Christianisme)[2]. Pour cette réunion à l’Université de Bordeaux 3, chacun a sélectionné un sujet qui correspondait le mieux à des secteurs connus.

 

Communautés issues de l'immigration à Bordeaux : les protestants malgaches

Marc Spindler[3]

 

Il existe à Bordeaux au moins deux communautés protestantes malgaches, l'une très anciennement implantée et de caractère oecuménique, l'autre plus récente, de confession luthérienne intransigeante.

La première s'appelle la FPMA Bordeaux autrement dit l'Église Protestante Malgache en France, paroisse de Bordeaux. Elle se réunit le dimanche après-midi au temple du Hâ, siège de l'Église réformée de Bordeaux. L'assistance est d'une cinquantaine de personnes en moyenne, avec des pointes de 200 à 300 lors de cérémonies occasionnelles, mariages, enterrements, fêtes, concerts et kermesses diverses.

L'autre s'appelle l'Église luthérienne malgache en France, groupe de Bordeaux. Elle se réunit une fois par mois dans les locaux de la paroisse catholique Notre Dame de Talence. J'évalue à une vingtaine de personnes le nombre de participants réguliers.

Les relations entre les communautés malgaches et les communautés-hôtes sont excellentes. Aucun trouble à l'ordre public n'a été signalé.

Chaque communauté malgache fait partie d'un réseau national organisé, bien que la vie de la communauté soit pour l'essentiel entre les mains des fidèles eux-mêmes et de leurs conducteurs bénévoles sur place. Aucun des groupes de Bordeaux n'est dirigé par un pasteur sorti d'une faculté de théologie et rémunéré à temps plein ou partiel. En terme technique, le système ecclésiastique adopté est le système congrégationnaliste.

Aucune de ces communautés ne correspond au type sociologique « secte » ou « nouveau mouvement religieux ». En effet, ce sont des diasporas apparentées à des Eglises malgaches constituées et reconnues par la loi de Madagascar (sur le régime des cultes, 1962), en l'occurrence l'Église de Jésus-Christ à Madagascar (Église réformée unie de tradition calviniste) et l'Église luthérienne malgache. Les groupes malgaches de Bordeaux ne sont pas en dissidence ou en rupture par rapport à ces entités-mères.

L'Église Protestante Malgache en France (Fiangonana Protestanta Malagasy aty andafy = FPMA) a obtenu cette année (2007) le statut d'Église membre de la Fédération Protestante de France qui regroupe actuellement 23 Églises dont les plus anciennes sont nées au XVIe siècle en tant que fruits de la Réforme. La FPMA est enregistrée en France comme association cultuelle (loi de 1905) [pas « culturelle » !] depuis 1962.

La FPMA est implantée sur tout le territoire français où elle compte 34 paroisses organisées en six régions ou diocèses. Le nombre total de ses fidèles est d'environ 15 000.  Ses origines historiques sont, d'une part l'aumônerie des militaires malgaches protestants ayant participé aux deux guerres mondiales aux côtés des Français, d'autre part l'aumônerie des étudiants malgaches venus effectuer leurs études supérieures, avant la création de la première université malgache moderne en 1960.

La FPMA est interdénominationnelle : ses membres sont anglicans (le président actuel de la communauté de Bordeaux est anglican), réformés (calvinistes), luthériens ou « évangéliques ». La vocation première de cette structure ecclésiale est d'accueillir les Malgaches protestants (et le cas échéant non-protestants aussi) pour leur donner une assise institutionnelle. Pour les Malgaches de ce type, l'identité religieuse protestante ou chrétienne en général fait partie intégrante de leur identité culturelle.

Ce système est régulé en cas de besoin par une instance nationale ou régionale. C'est à ce niveau que l'on  trouve des pasteurs formés dans les facultés de théologie ou à l'université. L'actuel président de la FPMA au niveau national est titulaire de deux doctorats (Paris et Amsterdam) ; il est l'un des trois ou quatre pasteurs à plein temps au service de la FPMA qui le rétribue. La FPMA possède un site correctement mis à jour (www.fpma.net) où l'on trouvera des renseignements sur les paroisses, sur les manifestations diverses et les publications disponibles (par exemple cassettes et CD). L'Église luthérienne malgache en France est basée à Paris (www.flmparis.org).

 

Mutations spiritaines à Bordeaux

Annie LENOBLE-BART 

Habituée à travailler sur les missions en Afrique, j’ai un jour trouvé dans les archives des Spiritains à Chevilly Larue (www.csspchevilly.com) une lettre du curé de La Teste félicitant un missionnaire d’Afrique pour la ferveur qu’il avait rencontrée chez « ses » Africains du camp installé au sud de sa commune après la Première Guerre mondiale, ferveur qui tranchait avec celle de ses paroissiens. Était-ce prémonitoire d’une présence plus visible en Aquitaine ?

Le missionnaire en question appartenait à une congrégation missionnaire catholique, celle des Spiritains, installée à Bordeaux depuis 160 ans, près des Capucins. Elle servait de base de départ et de retour pour les missionnaires qui transitaient par le port. Bien sûr, c’étaient des Européens qui y étaient en poste et ce jusqu’à une date récente.

Si, aujourd’hui, vous y allez, sur les cinq spiritains présents régulièrement, vous ne trouverez qu’un Français ; les quatre autres sont africains (Nigérian, Camerounais, Tanzanien et Angolais), témoins de cette transformation des instituts missionnaires qui, désormais, recrutent majoritairement hors d’Europe.

Ils ont été chargés de l’accueil des « migrants africains » à Bordeaux par l’archevêché et le troisième dimanche du mois une messe de cette aumônerie a lieu dans leur chapelle. Une majorité de l’assistance est africaine ; l’ambiance y est donc très « africaine ».

Par-delà cette sensibilité, visible dans la liturgie, les spiritains restent fidèles à une optique d’intégration « à la française » et se distinguent de divers mouvements religieux sur la place en refusant presque systématiquement le recours à l’exorcisme demandé par des Africains en difficulté, en pratiquant une écoute bienveillante mais amenant à se prendre en charge, à réfléchir lucidement à ses problèmes. L’aumônier sert aussi d’intermédiaire avec des organismes plus spécialisés, si besoin est. Il essaie de rattacher le fidèle à des solidarités car l’Africain qui arrive est souvent désocialisé : il allait à la messe chez lui car tout le monde y va ; il n’avait pas de question à se poser. Arrivant en ville, il n’a plus ce « réflexe », personne ne lui demandera des comptes : il lui faut construire de nouvelles pratiques car assez rapidement il se sentira perdu. L’aumônier interrogé[4] pense ainsi que les soucis matériels – indéniables – ne sont pas les plus prégnants et il essaie de sensibiliser les prêtres du diocèse à cette dimension spécifique dans des paroisses où les Africains sont de plus en plus nombreux, sans toujours trouver une écoute particulière. Le souci de cette aumônerie est ainsi d’amener les Africains à participer à la vie de la paroisse dont ils dépendent géographiquement et c’est pour cela qu’ils n’ont un rendez-vous spécifique (mais ouvert au public) qu’un dimanche par mois.

Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de catholiques, à Bordeaux comme ailleurs, sont tentés par d’autres expériences ou d’autres églises comme le montre l’exemple suivant.

 

Immigration et nouveaux champs religieux : les Africains de Bordeaux

Étienne DAMOME

L’Afrique reste l’une des terres les plus religieuses que le monde contemporain connaît. Pendant que la foi chrétienne se dessèche à une allure étonnante en Europe occidentale, le christianisme porté par elle en Afrique vit certainement là encore un temps de gloire. La mondialisation du mouvement évangélique de type pentecôtiste y a trouvé de véritables points d’ancrage que les Églises historiques n’ont pas su exploiter. Car la culture et le tempérament africains donnent une couleur particulière à la vie chrétienne et surtout aux manifestations cultuelles et aux rassemblements spirituels. Lorsqu’ils se retrouvent dans d’autres contextes culturels pour des raisons diverses, les chrétiens d’origine africaine éprouvent plus que d’autres des difficultés à s’intégrer dans les communautés d’accueil. Ils connaissent plusieurs types de difficultés liées au fait que tout en professant la même foi, ils ne se reconnaissent pas dans les assemblées occidentales et ne se sentent pas vraiment accueillis dans leur particularité par les communautés chrétiennes locales. C’est du moins ce que nous ont révélé les enquêtes que nous avons réalisées à Bordeaux entre le 15 janvier et le 20 mai 2007 auprès d’Africains issus de différentes obédiences chrétiennes. Bordeaux et sa région abritent en effet une grande colonie africaine de toutes origines. Leur présence répond à des motifs variés. Certains sont là à titre passager ; c’est par exemple le cas des nombreux étudiants qui fréquentent les universités de la région. D’autres sont pratiquement installés depuis plusieurs années pour des raisons professionnelles ou familiales.

Les personnes interrogées pour cette étude figurent dans l’un ou l’autre de ces cadres. Ils sont catholiques, de la grande famille protestante, ou appartiennent à une des nombreuses Églises indépendantes charismatiques ou prophétiques nées en Afrique. La synthèse de leurs témoignages permet de dire qu’ils ont tous les mêmes types de difficultés d’intégration.

Quatre types de problèmes

Lorsqu’ils viennent à Bordeaux, les chrétiens d’origine africaine rencontrent :

- un problème d’intégration sociale dans les communautés d’accueil. Ils se rendent concrètement compte du manque de structures d’accueil et de disponibilité des pasteurs. La dimension communautaire dont ils sont empreints en débarquant de leur Afrique natale fait l’amère expérience de la solitude ;

- un problème d’intégration dans la pratique religieuse. Ils croyaient tous les Européens chrétiens, puisqu’ils ont apporté le christianisme en Afrique. Ils sont surpris de constater que non seulement ceux qui osent se dire encore chrétiens ne pratiquent pas, ou ne le font presque clandestinement ! Ce choc de départ se double d’un autre, reçu, cette fois, dans les assemblées religieuses. Guindées, compassées, dignes des assemblées de « chrétiens constipés », celles-ci contrastent notablement avec les célébrations en Afrique ;

-   un problème au niveau même du message religieux. Ils ont le sentiment que l’Évangile est ramené à sa dimension culturelle et vidé de toute spiritualité et mystique. Les prédications ne touchent pas les cœurs et ne permettent pas d’approfondir la foi. Elles ne rassurent pas et ne donnent pas envie d’aller à la rencontre de la parole de Dieu ;

- un problème d’ordre spirituel. L’expérience de la prière comme force qui protège, qui guérit et qui soulage, est introuvable. La maladie ayant d’une certaine façon, pour eux, une origine spirituelle, la prière est forcément le moyen le plus efficace pour obtenir la guérison qui apaise. Or, cette préoccupation est prise à la légère par les responsables des Églises qui les empêchent de vivre dans leurs communautés et dans leurs structures des expériences allant dans ce sens. Les célébrations ne sont pas soignées, tout étant plus culturel que spirituel ;

les effets pervers de la laïcité qui rendent suspect tout acte religieux public

Bref, le milieu européen – bordelais en l’occurrence - déroute le croyant, lui donne le sentiment qu’être croyant c’est être malade.

Face à ces problèmes, on note plusieurs types de réactions qui ne s’excluent pas mutuellement.

Cinq types de réactions

Pour tenter de conserver leur foi au moyen d’une pratique régulière et à travers un cadre qui la favorise, les uns et les autres adoptent des attitudes différentes :

- s’intégrer. C’est une démarche assez optimiste. Ceux qui l’adoptent sont animés par le désir positif de s’insérer malgré tout dans la communauté d’accueil. Pour ce faire, plusieurs entreprennent le tour des communautés existantes pour en trouver une à leur « goût ». Dans ces cas, les paroisses où les cultes rappellent quelque peu les assemblées dominicales africaines sont les plus fréquentées. Ils essaient ensuite d’intégrer des groupes vivants (renouveau charismatique, différents groupes de prières - les structures qui accueillent le plus les Africains)…

- former des structures parallèles. Cette solution est inspirée par un constat d’échec ou plutôt un attachement à sa particularité. Considérant qu’il n’est rien de commun entre leurs pratiques religieuses d’origine et celles qu’ils rencontrent à présent, ceux qui sont animés par cet esprit entreprennent de former des structures parallèles (groupes de prière, chorales…) tout en demeurant dans la communauté d’accueil appelée à bénéficier de leurs services. Ils vivent ainsi des moments de respiration qui leur permet de tenir bon. Le but principal est de tenter de retrouver l’ambiance du pays d’origine. C’est aussi à cet effet que beaucoup se connectent à des réseaux qui les ramènent à leurs sources : accueil de pasteurs, de membres de groupes de prières, de guérisseurs africains. Des cotisations sont parfois faites pour le permettre. Sinon, toute occasion de visite d’un membre éminent de la communauté d’origine est saisie pour tenter de revivre sa foi à l’africaine ;

-   créer des Églises africaines dans les villes européennes. C’est le cas de toutes les communautés diasporiques qui introduisent en Europe l’expérience du christianisme africain (l’Église du Christianisme Céleste, l’Église du Christ au Congo, l’Église Akan, l’Église de Pentecôte du Ghana, l’Église du prophète Harris…) mais également de la naissance en Europe de structures ethniques comme avec l’Église évangélique malgache qu’a décrite Marc Spindler. Dans le cas de Bordeaux, aucune Église n’a été installée en dehors de la FPMA. Mais celles que nous venons de citer y comptent chacune des adhérents. Parce qu’ils ne sont pas nombreux, ils sont obligés de se rendre à Paris où elles sont particulièrement implantées, ou accueillent occasionnellement dans leurs maisons, les chefs des églises en France ;

- changer d’Église. Certains recourent à cette autre attitude radicale. Il s’agit surtout de chrétiens fréquentant les églises catholiques ou protestantes traditionnelles. Ces chrétiens en recherche de communautés plus vivantes et plus accueillantes partent vers les nouvelles communautés évangéliques, telle l’Église du Royaume de Dieu ;

abandonner. D’autres enfin connaissent le repli sur soi et le refroidissement progressif de leur foi ou tout au moins de leur pratique religieuse.

La vie religieuse est intimement liée à la dimension sociale et culturelle. Elle n’a de réalité propre que dans le contenu de la foi et de ses dogmes. Tout le reste obéit à un contexte et donc est sujet au changement. On comprend donc pourquoi l’immigration peut être un paradigme d’analyse des mutations religieuses contemporaines. Le changement de contexte entraîne également des changements de lieux spirituels avec ce que cela comporte de chance pour la diversification des modèles religieux et l’émergence de types nouveaux. À travers l’exemple de Bordeaux, nous entrevoyons le monde des communautés religieuses diasporiques et l’opportunité pour les Églises prophétiques africaines de se connecter sur des réseaux d’immigration pour exister, ne serait-ce qu’à travers leurs fidèles, dans les pays occidentaux.



[1] Cf. Victoire Émile, Sociologie de Bordeaux, La Découverte, collection Repères, 2007.

[2] qui publie chaque année aux éditions Karthala un ouvrage sur un thème discuté et longuement travaillé. Voir ainsi de deux des auteurs : Spindler Marc et Lenoble-Bart Annie, Chrétiens d'outre-mer en Europe. Un autre visage de l'immigration, Karthala, 2000 ; Spindler Marc et Lenoble-Bart Annie, Spiritualités missionnaires, Karthala, sortie août 2007, auquel a collaboré Étienne Damome.

[3] Bibliographie sur le sujet :

- Rabenoro Aubert, « L'Église Protestante Malgache en France (FPMA). De l'aumônerie à l'Église : un passage inachevé », in Spindler et A. Lenoble-Bart, Chrétiens d'outre-mer en Europe. Un autre visage de l'immigration, 2000, p. 121-130.

- Ravalitera, Dynamique et pastorale d'une communauté de langue étrangère, mémoire de DEA de théologie systématique, Montpellier, Institut Protestant de Théologie, 1997 (inédit).

- Spindler Marc, « Kirchenbildungen südlicher Minderheiten in Europa », in Mit dem Fremden leben. Perspektiven einer Theologie der Konvivenz. Festschrift Theo Sundermeier, herausgegeben von D. Becker in Zusammenarbeit mit A. Feldtkeller. Erlangen, Erlanger Verlag für Mission und Ökumene, 2000. 2, p. 219-227.

- Spindler Marc, «  Migrant Churches », in Nicholas Lossky, J. Miguez Bonino, John Pobeee.a. (eds.), Dictionary of the Ecumenical Movement, Geneva, World Council of Churches, 2nd Edition, 2002, p. 768.

- Spindler Marc, « Églises étrangères en Europe : un gâteau feuilleté », Information-Évangélisation. Revue bimestrielle de l’Église Réformée de France, octobre 2004, p. 19-25.

[4] Nous le remercions vivement pour ses informations.