"SWAMI OMKARANANDA EST DÉCÉDÉ SANS AVOIR REVU WINTERTHOUR"

Un gourou doublement explosif Il avait été condamné à Mon-Repos pour un attentat à la bombe commis par ses disciples. Aujourd'hui, son dossier ressurgit: il n'est pas exclu qu'il y ait eu, à l'époque, provocation policière.

par ALAIN PICHARD ("24 HEURES" (Lausanne), 7 janvier 2000)

Le gourou indien Swami Omkarananda est décédé mardi dernier à 70 ans des suites d'une mauvaise grippe. Expulsé de Suisse, il habitait sur la rive autrichienne du Bodan. Dans les années septante le gourou et ses disciples, installés à Winterthour dans un «Centre de la lumière divine» (sigle anglo-allemand DLZ), avaient défrayé la chronique helvétique. Un conflit avec les voisins avait pris des dimensions homériques et culminé en 1975 dans un attentat à la bombe contre la maison du conseiller d'Etat zurichois Jakob Stucki, à Seuzach. Lors d'un procès très insolite (lire encadré), le Tribunal fédéral avait condamné le Swami en 1979 à quatorze ans de réclusion, tout en se montrant clément avec quatre des cinq disciples coinculpés. Six ans plus tard, le gourou se voyait libéré pour bonne conduite et mis de force dans un avion pour l'Inde.

Entre-temps, cette vieille histoire est revenue sur le devant de l'actualité et préoccupe les autorités politiques et judiciaires. En 1979, les gens du DLZ avaient dit être victimes d'une provocation montée par des autorités maquées avec les voisins. Dans l'ambiance abracadabrante du procès, personne n'avait pris cette thèse au sérieux. Mais en 1998, reprenant l'enquête, le quotidien Tages-Anzeiger a révélé que la police zurichoise avait été informée à l'avance de l'attentat et que le cerveau de l'opération avait pu échapper à l'arrestation et avait disparu sans laisser de traces. Troublés, deux conseillers d'Etat ont prié Arnold Koller de faire réexaminer le dossier. Puis le Conseil fédéral a chargé un ancien juge fédéral, Jean-François Egli, d'une enquête administrative sur l'affaire, dont on attend toujours les conclusions.

Jeune moine dans un ashram indien, le Swami s'était laissé convaincre un jour par des touristes spirituels de venir s'établir en Suisse et s'est soudain trouvé transplanté dans une culture inconnue, entouré d'une foule d'adorateurs, dont plusieurs patrons de l'économie helvétique... Dans cette situation s'est développée au DLZ une situation de «folie col- lective» (dixit l'expert psychiatre) non dénuée de traits paranoïaques. Pour la centaine de résidents du DLZ, les querelles de voisinage sont devenues la principale occupation. Procédurier à l'extrême, le gourou avait créé une «section juridique» spéciale pour gérer les procès avec les voisins. Puis, les gens du centre ont tenté des opérations pour empoison- ner les gêneurs, heureuse- ment sans succès. Et quand le conseiller d'Etat Stucki a parlé d'expulser le Swami, il est devenu la cible numéro un.

Un truand indic belge

C'est alors qu'une jeune résidente, la Française Martine Hochedez, aorganisé l'attentat nocturne de Seuzach. Avec un complice, elle est allée en Belgique se procurer des bombes et des détonateurs chez un truand. Sur les sept engins, un seul a explosé, ne causant que quelques dégâts. Une opération similaire et simultanée chez un avocat a échoué. Le lendemain, 400 policiers investissaient le Centre de la lumière divine. Les auteurs de l'attentat ont tous été arrêtés, sauf la Française. Martine Hochedez était-elle un agent provocateur? Le Tages-Anzeiger a trouvé plusieurs indices dans ce sens. De plus, elle a totalement disparu depuis lors - même sa mère ne l'a plus revue.

Le journal zurichois a également interrogé des anciens officiers de police belges qui lui ont parlé du BIC, une organisation policière chargée d'infiltrer le milieu qui a été dissoute en 1988 après divers scandales. Le truand qui avait fourni les bombes était un indic du BIC et avait été chargé de cacher un émetteur dans un des engins. Le BIC a ainsi pu les suivre à la trace et avertir la police zurichoise qu'un attentat se préparait. Mais la police cantonale n'a pas bougé un doigt.

Archives disparues

Ces révélations relèvent peut-être de la désinformation. Mais on ne peut pas écarter l'hypothèse que la police ait délibérément laissé commettre l'attentat pour pouvoir plus facilement débarrasser Winterthour de ses encombrants sectaires. Des documents disparus dans les archives semblent d'ailleurs confirmer que tout n'est pas en règle dans ce dossier.

Un procès surréaliste

Jamais sans doute le Tribunal fédéral n'a vécu un procès aussi surréaliste que celui du Swami Omkarananda. Quand un juge le questionnait, le gourou, au lieu de répondre, se lançait dans d'interminables prêches en anglais sur la lumière, la pureté et l'amour, allant jusqu'à dire une fois: «Je SUIS la vérité.» Il insistait beaucoup sur sa nature asexuée, expliquait que son sperme s'était transformé en âme et revendiquait le droit de se faire faire un certificat médical de chasteté.

Ses coaccusés se lançaient dans des récits invraisemblables (tenaient-ils du simple fantasme individuel ou d'une pratique réelle relevant de la psychose collective?). Ainsi, un magicien était venu exprès d'Inde pour tenter de faire mourir les voisins, égorgeant une poule sur le corps d'une femme nue. Un sympathisant, membre du conseil d'administration d'Alusuisse, intronisé swami, assistait à des abattages de chèvres, tandis que le gourou utilisait ses pouvoirs surnaturels pour lui révéler des gisements cachés de bauxite.

De plus, les complices énuméraient les mesures prises pour nuire aux affreux voisins: injections d'acide dans leurs tomates, poignées de portes induites d'un produit toxique, vaccins contre la variole jetés dans la cuisine de Jakob Stucki, etc. Plus inquiétant encore, la Cour a appris qu'un adolescent de 16 ans avait pu commander chez un grossiste allemand dix kilos d'un gaz de combat . Par chance, la livraison est arrivée quand les jeunes terroristes étaient déjà en prison.


"Indian Sect Leader Omkarananda Dies"
(Associated Press, January 6, 2000)

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Revised last: 9-01-2000